Raymonde Gorse : le temps des cammarades

Raymonde Gorse : le temps des cammarades

A partir de 1930, le quartier de la Cité Bel Air, à Boulazac, a accueilli une population ouvrière proche du Parti communiste. Ce fut l’âge d’or d’un mouvement qui a profondément marqué l’histoire de France. Raymonde Gorse est une figure de cette fresque humaine où solidarité et entraide faisaient du « Parti » une famille.

Pour paraphraser Paul Eluard, des lèvres de Raymonde s’envolent des colombes. C’est aussi « la belle et la rebelle » que chante Jean Ferrat. Ou encore celle qui chante « La Rose et le Réséda » d’Aragon pour dire que le « grand soir » est une poésie éternelle. Avec ses quatre-vingt dix printemps en ce mois de mai aux mille souvenirs dont soixante de militantisme au Parti communiste français, Raymonde Gorse est le bouquet du premier lilas, du premier muguet, de la première rose. C’est le tourbillon d’une jeunesse toujours pétillante et presque enivrante. Dans sa maison du quartier de la Cité bel Air, sur la commune de Boulazac, sont entassées les pages d’une vie toujours inachevée. Une maison bâtie en 1966 avec l’époux, Roger, un militant de premier plan du Parti communiste Français en Dordogne. Roger, parti l’an passé. Parti ? Oui, car en écoutant Raymonde on se rappelle aussi cette phrase de Jean Ferrat : « Un poète ne meurt jamais… » Avec le temps les combats de jadis se mêlent à ceux du moment et constituent ce que l’on appelle une histoire, une culture et donc, aussi, une poésie. C’était le temps des camarades. Raymonde, avec sa distinction, une mémoire et une éloquence souveraines nous plonge dans une vie toute ancrée entre le militantisme, son travail d’institutrice, ses enfants et, bien entendu Roger.

« Toute petite je disais quand j’aurai le droit de voter j’irais toujours voter »

Raymonde Gorse est une fille « Lacombe » qui a grandi entre un père cheminot et une mère qui entretenait le foyer familial dans le quartier de Saint-Georges à un kilomètre à vol d’oiseau de sa maison actuelle. Une mère déjà militante puisque membre de l’Union des Femmes Françaises proche du mouvement communiste. Un père à gauche et sympathisant communiste. Raymonde a toujours voulu être institutrice. Et c’est ainsi qu’elle va mener son parcours d’adolescente de l’école de son quartier au lycée de jeunes filles de Périgueux. Lorsque durant l’occupation un responsable de la Légion – organisme créé par l’État de Vichy – proposa à son père que, s’il adhérait, sa fille serait reçue au concours d’institutrice, celui-ci refusa. Dans la famille Lacombe, républicaine et de gauche, on ne transigeait pas avec les valeurs. Ainsi, Raymonde devait être institutrice suppléante avant que d’être nommée titulaire en 1951 quand le périgourdin Yvon Delbos fut nommé ministre de l’Education nationale.

De la guerre et de l’occupation, Raymonde a conservé en mémoire la lourde ambiance de méfiance et de délation née de l’opposition entre les partisans de l’État de Vichy et les autres. « J’avais, raconte-t-elle, des convictions. Mon père, ancien combattant, m’avait élevée en me transmettant l’amour entre les hommes et il n’avait aucune haine envers les Allemands. Mais quand ils ont occupé la France, il s’est engagé dans la Résistance, celle du monde du rail où il travaillait. Déjà, lors de la guerre d’Espagne nous étions engagés en faveur des républicains espagnols et je me rappelle être allée collecter de l’argent sur les boulevards de Périgueux pour acheter du lait aux enfants. On avait un grand drapeau dans lequel les gens mettaient ce qu’ils voulaient. Oui, sans que nous soyons dans un parti nous étions déjà des militants dans le cœur… J’avais douze ans… » Raymonde s’arrête et son regard s’évade ailleurs puis elle reprend : « Toute petite je disais que, quand j’aurai le droit de voter, j’irais toujours voter. C’est après la guerre, je crois en 1951 que j’ai voté pour la première fois et depuis j’ai toujours voté. »

Une voiture qui s’arrêtait devant nous pouvait annoncer une arrestation

De cette période sombre de l’Occupation Raymonde se remémore les copains qui disparaissaient en prenant le maquis, les collaborateurs qui entretenaient un climat détestable de peur : « Dans ma classe, il y avait la fille d’un responsable de la Milice et il nous fallait nous méfier. Une autre fois j’ai vu un garçon sortir du siège de la Gestapo ce qui ne pouvait qu’entraîner notre suspicion ; à la Libération, il fut fusillé pour avoir été un indicateur des Allemands. Une voiture qui s’arrêtait devant chez nous pouvait annoncer une arrestation. On vivait constamment dans la peur. Comme j’habitais à proximité des casernes, j’entends encore les salves et parfois même les cris qui signifiaient le martyr des résistants et otages. Cela forge quand même des convictions et le besoin d’engagement…»

Dans la rue Camille Desmoulins, toute proche de chez elle, se situait une maison de tolérance réservée aux soldats allemands et Raymonde se rappelle bien les allers et venues tout en évitant elle-même de passer devant. Elle y eut aussi la grande rafle de mai 1944 : « C’étaient des soldats Géorgiens et des miliciens qui passèrent dans toutes les maisons pour arrêter les Juifs. On n’imaginait pas ce qu’ils allaient devenir. On était triste et on n’avait aucune explication. J’ai le souvenir que les miliciens étaient plus violents que les Géorgiens dont certains nous faisaient signe de partir nous cacher. »

La Libération et l’arrivée de Roger Gorse

A la fin de la guerre, Raymonde est nommée en remplacement à l’école de Saint-Cernin-de-Reilhac. « Au début, j’y allais en vélo. Presque trente kilomètres. Puis je prenais le « tacot » et je m’arrêtais à la gare de La Gélie. C’est en gare de Niversac que le 8 mai 1945 j’ai vu le chef de gare passer sur les voies avec un panneau « la guerre est finie».

Le samedi 19 aout 1944, jour de la Libération de Périgueux, Raymonde se rendait chez le coiffeur : « j’ai vu les Allemands qui s’en allaient en prenant tout les moyens de locomotion qui se présentaient. Cela donnait l’impression d’une débandade mais certains conservaient toute leur morgue et on savait qu’à tout moment ce départ pouvait se transformer en tragédie. Arrivée en ville on m’a dit que les Allemands s’en allaient pour de bon. Le mardi suivant alors qu’il y avait une cérémonie sur la place Montaigne on a annoncé que les Allemands revenaient ; le bataillon de « Soleil » quitta la cérémonie et se porta par le quartier du Toulon vers Saint-Astier où on disait les Allemands retranchés. »
1946. Raymonde perd sa mère. « A cette époque on portait le deuil et il n’était pas question de s’écarter de ce rituel. De plus, cette disparition m’avait marquée, je n’avais pas vingt ans. »
1947. Après les grèves très dures du printemps et qui aboutirent à l’exclusion des ministres communistes du gouvernement, Roger Gorse, cheminot, est muté de Brive à Périgueux. Il se retrouve avec le père de Raymonde et c’est ainsi qu’il découvrira sa future épouse.
Le grand-père de Roger Gorse était un socialiste résistant et lui, Roger, s’était engagé dans les Francs-Tireurs et Partisans Français et aux Jeunesses communistes.

« Je suis entré au Parti communiste en 1956 et je prendrais ma carte tant que je vivrais »

Raymonde raconte : « Nous nous sommes mariés en 1950, un jeudi pluvieux, à la mairie de Périgueux. Le soir nous avons partagé un repas très simple avec la plus proche famille. Puis nous sommes allés sur la Côte d’azur, une dizaine de jours, pour mieux nous connaître. » Et Raymonde de reprendre : « Roger fut avant tout un très bon camarade. On partageait les mêmes idées. Il était désintéressé et ne cherchait ni galon, ni argent. On avait un idéal… et cela remplissait bien notre vie. Et puis, il m’a donné de la confiance en moi. »

Avec Roger ce sera une aventure collective et intime, deux destins qui ne feront qu’un. Ils affrontèrent ensemble le temps des certitudes, puis celui des doutes, puis celui des contradictions et du désarroi. Mais Raymonde le dit : « Je suis entré au Parti communiste en 1956 et je prendrais ma carte tant que je vivrais. Depuis la disparition de Roger je continue à payer sa carte. » Les jeunes générations imaginent mal combien durant un demi siècle le parti fut un nid douillet qui offrait chaleur et culture autour des valeurs de solidarité et de justice.

Roger sera une des chevilles ouvrières du mouvement communiste en Dordogne. Après avoir été secrétaire de l’Union départementale de la CGT puis secrétaire de la section du PCF de Périgueux il devient secrétaire de la Fédération départementale il pensera avoir son bâton de Maréchal. L’avenir le contredira : il sera conseiller général, conseiller municipal, conseiller régional. Raymonde sera sa plus fidèle et ardente compagne de route. Ne dit-elle pas : « Avec Roger rien n’était tabou. On parlait de tout et avec une grande tolérance. Nous n’étions pas toujours d’accord mais il voyait dans un autre point de vue des éléments pour compléter et conforter l’essentiel de sa vision. Parfois, c’était plusieurs jours après qu’il reprenait la discussion. Lors d’un voyage en URSS il avait bien vu qu’il y avait des choses qui le surprenaient mais il voulait avant tout comprendre. Nous avions tous deux une soif d’apprendre.» Et puis, comme l’exprimait à l’occasion des obsèques de Roger Gorse, Laurent Péréa, secrétaire de la Fédération départementale du PCF : « A eux deux, ils ont bien illustré ce mot du grand Jaurès :  » C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source ».

« L’avenir ne pouvait qu’être meilleur parce que nous le voulions »

« Nous sommes venus dans le quartier de la Cité Bel air en 1966 car nous avions cinq enfants et il fallait avoir des conditions de vie convenables pour tous. Mes beaux-parents nous avaient offert le terrain. On n’était pas fauché mais on n’avait pas d’argent. C’était différent d’aujourd’hui. L’avenir ne pouvait qu’être meilleur parce que nous le voulions. J’ai toujours veillé malgré nos occupations nombreuses à partager le déjeuner du midi avec tous les enfants. Nous savions que le soir il y avait les réunions syndicales ou politiques. Je me rappelle le premier aspirateur. A l’époque il n’y avait ni congélateur et ni machine à laver. Il fallait être très organisé. Imaginez que nous n’avons eu le téléphone qu’en 1977 ! Jusque là on allait à l’épicerie pour téléphoner et Roger était déjà attaché parlementaire de Lucien Dutard, député ! Tous les soirs il y avait quelqu’un qui dormait à la maison car nous n’avions pas les possibilités de transport d’aujourd’hui et certains venaient de l’autre bout du département. Vous savez, être communiste c’est simple : c’est aimer les gens. »

L’âme ouvrière du quartier s’éteint

C’est en 1964 que Raymonde Gorse a rejoint l’école Joliot-Curie de Boulazac où elle finira sa carrière en 1981. Elle retrouve Lucien Dutard, un « camarade » qui est aussi le maire de la commune depuis 1953. C’est une femme de l’ombre qui rayonne autour d’elle au travers de ses engagements dans les associations, les activités périscolaires et la défense des droits des femmes. Ce qui ne l’empêche nullement de remplir ses devoirs de mère de famille : « pour avoir des droits, dit-elle, il faut déjà avoir conscience de ses devoirs. »

Elle a vu son quartier, celui de la Cité Bel Air, évoluer : « Il n’y a plus la solidarité d’autrefois. C’est regrettable mais c’est ainsi. J’ai connu l’arrivée de Jacques Auzou – un camarade – et Roger avait tout de suite compris qu’il aurait un brillant avenir. Il l’a soutenu. Moi, je le soutiens toujours. Et je ne suis en aucune façon déçue.»
Raymonde Gorse constate que tout le petit monde des ouvriers qui constituait l’âme du quartier est remplacé par une classe moyenne qui n’a pas vécu la guerre et la reconstruction, dont la conscience politique est affaiblie par l’intérêt trop personnel et l’absence de projet collectif. Elle se rappelle combien le « Parti » jouait jadis pleinement un rôle de socialisation et d’entraide. Tout s’est progressivement désagrégé même si quelques oasis subsistent. La relève tarde à arriver.

Une de ses fiertés c’est de croiser et bavarder avec l’un des mille enfants qu’elle a eu l’honneur d’accueillir dans ses classes. Beaucoup sont partis ailleurs. Signe d’un temps qui voit ses repères se disperser.

Elle attend toujours le « Grand soir »

La vie est âpre quand on la subit, quand les doutes deviennent des quais inanimés, quand la voile est mal ajustée et que le vent la déchire. Raymonde a voulu que son existence ne soit pas subie, que les quais restent éclairés et que la voile soit bien accommodée. Désormais, il y a les enfants et les petits-enfants qui lui donnent des sourires parfumés. Mais la militante est en embuscade ; chaque jour elle lit la presse écrite et continue à apprendre un temps qui est toujours le sien et elle se fait un avis sur tout, ou presque. Même si elle attend toujours le « Grand soir », pour Raymonde c’est toujours le temps des camarades.

 

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Photos et texte : Pascal SERRE. Avec le concours de la Ville de Boulazac

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