Odette Foussard: un long fleuve tranquille

Odette Foussard: un long fleuve tranquille

Odette Foussard a accompagné, durant un demi-siècle, l’histoire de la Guinguette de Barnabé. C’est en 1956 qu’elle a épousé Jean Foussard, seconde génération à faire vivre ce qui apparaît désormais comme l’emblème d’un mode de vie.

Fin 1953, arrivée de La Coquille, presque en terre Limousine, Odette, la juste vingtaine d’années passée apprenait le métier de coiffeuse chez René, une officine bien connue de la rue Eguillerie. Périgueux est encore une petite ville où les familles se croisent, se connaissent. Chaque dimanche on va déambuler le long des boulevards ; l’été on va à Cachepur ou à Barnabé.

A la sortie de la guerre, dans les années cinquante, un des lieux de rendez-vous de la jeunesse Périgourdine était le Casino de Paris. En raccourci : « Le Casin ». Là où une autre génération, celle d’aujourd’hui découvre le Garden Ice Café.  Odette, le samedi soir ou le dimanche retrouvait ses amies au Casino de Paris pour quelque valse. Une courte parenthèse dominicale dans une existence qui se délimitait à donner satisfaction à la clientèle et s’assurer une place, gage de contentement pour ses parents.

En ce printemps 1954, un samedi soir, dans la salle de bal du Casino de Paris enfiévrée et enfumée ce fut le coup de foudre pour un homme avec lequel elle devait partager quarante-huit années de sa vie : Jean, Jean-Maurice Foussard que les copains appelaient Jeannot.
«  Je ne connaissais pas la guinguette, je ne savais pas ce qu’il faisait, mais nous avons dansé… » raconte Odette sans mélancolie, les yeux toujours pétillants. Le  mariage aurait lieu quelques mois plus tard, en mai 1956. « Avant la saison pour bien accueillir les clients » dit-elle.
Odette : « J’arrêtais mon travail de coiffeuse pour aider mon mari et m’occuper de la famille. C’était ainsi à l’époque. »  Pour la jeune fille, tout était magique : « Quand je suis arrivé, je découvrais la bâtisse à l’architecture si particulière, la terrasse, le bac à poulies aux allures de gondole qui reliait les deux rives, le mini-golf qui existait depuis deux ans, le camping ouvert en 1951 et qui fut le premier camping homologué en Périgord, en 1954. »

 

Le Baby-boom

Périgueux et le quartier de La Cité Bel Air, dans ces années cinquante, semblent à l’écart des grands bouleversements du moment. La vie y est paisible, ordonnée autour du travail et d’une vie quotidienne pas toujours facile à gagner. Odette se met au travail : l’accueil, le service, la caisse, le rangement et le nettoyage, rien ne lui échappe ; elle ne veut pas décevoir Jean, son mari. « J’ai été heureuse même si le travail était parfois harassant. Les clients étaient formidables. C’est un des garçons de café, Émile, qui m’apprit le métier. Il faut imaginer qu’à cette époque les comptes étaient notés à la main et chacun avait son carnet. Il y avait moins de boissons qu’aujourd’hui. Outre le « p’tit vin blanc » et le « p’tit rouge » c’était la bière et des sirops avec de l’eau ou de la limonade. Nous faisions nos propres glaces. Chaque matin le laitier apportait le lait et les œufs. Ces glaces étaient très réputées chez les enfants et les plus grands… » Beaucoup amenaient leurs enfants et passaient ainsi l’après-midi. C’étaient les années du baby-boom… En ce temps-là, aussi, on portait la tenue du dimanche, spécialement sortie du placard.

En ces années où la France est en pleine reconstruction, l’inimitable Zappy Max côtoie James Dean, la mobylette et la Vespa détrônent le vélo, le whisky et le Coca-Cola bousculent la génération du baby-boom toujours bouillante.

Odette a le souvenir des américains de la seconde génération, ceux de la période où ils étaient au « Camp américain » de Chamiers, dans les années cinquante et jusqu’en 1966 : « Il y avait un, un vétérinaire, qui venait régulièrement boire un mélange fait de whisky, de coca et de crème fraiche. Il venait bavarder. Une fois ils avaient réservé toute la guinguette et ils ont fait une fête mémorable jusqu’au matin. Ils étaient tous très corrects. » Proche des casernes, la Guinguette accueillait aussi les militaires en permission : « Au temps du Cinquième Dragon, puis du Cinquième chasseur, souvent, avec une fille, les militaires prenaient les pédalos et passaient de l’autre côté de la rivière pour aller dans les près qui faisaient face. Après, je ne sais pas… Quand ils revenaient ils prenaient une consommation en galante compagnie…» Odette baisse les yeux et sourit : « Oh c’est que nombre de relations ont vu le jour à Barnabé. Beaucoup de mariages aussi. »

Les Sixties

Puis, c’est l’époque des sixties. La mode vient de la Riviera, de Saint-Tropez où une certaine Brigitte Bardot joue « Et Dieu créa la femme ». La Guinguette reste fidèle à une clientèle locale et, l’été venu, le camping affiche complet.

Odette est là, avec son mari et, désormais, ses deux enfants : Eric et Marie-Josée. La famille Foussard est au complet et soudée comme les cinq doigts d’une main. Et tout ce petit monde participait. « On faisait une petite restauration. Principalement des sandwiches, quelques gâteaux. Mais nous ne faisions pas le restaurant. Ce n’était pas notre métier » explique Odette.

Ainsi, plus tard viendront les cheveux longs et la révolution sexuelle. La Guinguette entre dans les années soixante-dix avec sa fougue et ses traditions. Odette : «  C’est l’époque où se sont développées les boites de nuit. Nous avons transformé la salle de bal en salle de jeux parce que les bals populaires d’antan n’attiraient plus les jeunes. »  Une jeunesse qui, de tous temps, selon Odette « a toujours été raisonnable.  « Mais on les connaissait tous et leurs parents aussi «  confie-t-elle. « Il est vrai que mon beau-père et mon mari savaient faire respecter la tranquillité de tous. Il n’y a eu, à ma connaissance, aucune bagarre à cette époque. Les mauvais coucheurs ne venaient pas à Barnabé » reprend Odette.

Oh il y avait les petits coquins qui mettaient dans le baby foot une pièce trouée avec un fil : « Mon mari les laissait faire quelques parties puis passait leur dire en souriant de bien vouloir arrêter. Et tout rentrait dans l’ordre. »

La Guinguette était une fabrique de rêves. L’été, chaque jeudi et le dimanche, il y avait les maîtres nageurs qui apprenaient aux enfants à nager. Parfois ils étaient une cinquantaine en même temps. Ils sont nombreux encore aujourd’hui à avoir appris la brasse ou le crawl à Barnabé. Puis, il y avait celles et ceux qui venaient se baigner. Il était fréquent de voir deux ou trois cents baigneurs dans l’Isle. Il faut savoir que Périgueux n’avait pas de piscine jusqu’à la fin des années soixante. Et puis, il y avait les pêcheurs, nombreux et qui venaient de loin. Ils passaient toute la journée sur les berges de l’Isle, entrecoupée de solides et gaillards « petits verres ». On y verrait presque Jean Gabin dans le film « La Belle équipe »…

Selon Odette, Yves Guéna, qui deviendra ministre du Général de Gaulle et Président du Conseil constitutionnel venait s’y baigner : « Pascal Vittori, son secrétaire, appelait pour demander si il y avait un maillot de bain pour le patron. Yves Guéna arrivait, se mettait sur le côté, un peu à l’écart, et se baignait comme n’importe qui. Puis il mangeait une bricole. Ce devait être au début des années soixante. Il devait être député et pas encore maire. »

Un Yves Guéna qui inaugurera quelques décennies plus tard, en canoë, accompagné du maire de Trélissac, Francis Colbac, la nouvelle passe à canoë.

Le clown, les terroristes et le juge

Durant toutes les années quatre-vingt la Guinguette a poursuivi son activité. Il y avait naturellement les habitués mais « le bouche à oreille » amenait de nouveaux visages. Parfois surprenants. Ainsi Wladimir et Sabrina, un couple d’artistes du cirque venu de République Démocratique Allemande et qui séjourna durant une dizaine d’années au camping. Ainsi, encore, des séparatistes basques de l’ETA assignés à résidence et que l’on avait installés sous surveillance policière durant plusieurs mois dans ce même camping. Odette se rappelle que les familles ramenaient des victuailles et alcools de leur pays : « Ils étaient comme tout le monde ici. Ils n’avaient pas l’air de terroristes. Ils venaient boire leur café et nous discutions avec eux. Mais on venait les contrôler tous les jours. »

Un camping qui, avec le temps, avait ses habitués et ses rites. « Certains vinrent durant quarante ans à la même place » dit Odette. On pense au film Camping et Jacky Pic incarné par Claude Brasseur. Un air de Flots bleus en Périgord.

Il y eut encore la grande fête orchestrée autour du Blaireau par le Juge Alain Bressy. Tout avait commencé en 1991. Avant son départ, en 2001, tout le landerneau culturel Périgourdin s’était donné rendez-vous pour une fête mémorable à la guinguette. « Il y eut même un feu d’artifice et je ne suis pas sûre qu’il y avait une autorisation » raconte Odette.

On n’a pas fait tout ça pour que ça s’arrête

Quand en 2002 Jean, le mari, décède suite à une malencontreuse chute d’échelle Odette flanche. Sa famille est là et l’entoure. Et puis, il y a toujours Jean, continuer c’est une façon de le faire vivre davantage. Eric, le fils, la soutient ; la clientèle aussi. Elle continue.

Quand le cinéaste Jean-Pierre Denis choisira le cadre de Barnabé pour  tourner une scène de son film « Ici-Bas » ce sera le grand chambardement. L’ancien douanier y venait jadis et les lieux restaient préservés pour accueillir une ambiance des années quarante. Odette resterait dans l’ombre tout en observant acteurs et techniciens.

Depuis bientôt deux ans la magie entretenue durant près de soixante ans par Odette est en attente d’une nouvelle vie : « Bien sûr que je suis heureuse de voir l’aventure continuer. On n’a pas fait tout ça pour que ça s’arrête. Je vois encore des clients et nous nous rappelons de bons souvenirs. Je sais qu’ils viendront quand la guinguette rouvrira. »

Odette le reconnaît : « La fermeture, après cinquante-huit années de travail a été dure. Il faut savoir s’arrêter mais, quand même, c’est dur. J’ai déprimé. » Si la page est tournée, le livre n’est pas encore achevé.

Aujourd’hui, soignée avec une élégance naturelle et le goût du détail discret, Odette reconnaît avoir du mal à parler de cette époque même si ce fut un rêve merveilleux. « Il y a encore quelques semaines je n’aurais pas accepté d’en parler » confie-t-elle. « Un long fleuve tranquille » dit-elle avec des yeux où se mêlent une grande et belle joie de vivre mais aussi une secrète nostalgie. Odette est du signe du Sagittaire. De ce signe on dit qu’il caractérise une personnalité optimiste, ayant le cœur et l’esprit ouverts, qui communique la bonne humeur autour d’elle. Dès lors on comprend mieux le secret qui entoure ce lieu aussi extraordinaire que fascinant. Un long fleuve tranquille…

 

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Photos et texte : Pascal SERRE. Avec le concours de la Ville de Boulazac

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