Liliane Fayol : rue du Canada

Liliane Fayol : rue du Canada

Liliane Fayol est née et a grandi dans la même maison, celle au 26 rue Canada, construite par les américains en 1917 dans le quartier de la Cité Bel Air, à Boulazac. Elle a ainsi réuniles deux continents sur sa seule et unique île de quelques mètres carrés tout en guidant son frêle esquif entre deux tempêtes.

La rue du Canada. Entre deux autres rues, deux autres rives, deux autres mondes. Bien rangés, solides et hors du temps, les anciens baraquements érigés par les soldats américains y sont toujours visibles. Chaque famille, les années s’écoulant, y ayant aménagé une tranche de vie tout aussi bien ordonnée, solide et parfois aussi hors du temps. C’est là qu’a grandi Liliane Fayol. Entre le milieu des années trente et aujourd’hui. C’est que Liliane en a vu ! Mais, cette jeune sexagénaire a le verbe discret. Un peu comme cette rue du Canada qui invite à toutes les folies géographiques et qui demande à ce que le voyage se poursuive.

Alors, entre sa cuisine et son salon, deux pièces héritées des américains, achetées et aménagées avec les commodités par ses parents, tout en disposant le gâteau confectionné spécialement pour notre rencontre, elle revisite les anciennes histoires et les lieux transformés au gré des grandes migrations qu’a accueilli le quartier de la Cité Bel Air. Elle dispose autour d’une bouteille de cidre les verres. Liliane entretient ainsi une élégance et une courtoisie naturelles faites de petites attentions dont elle semble ne s’être jamais départie. Une touche très particulière que l’on retrouve le plus souvent dans les familles du quartier.

Le quartier des « Péotards »

Rue du Canada

« Dans les années trente, c’était, raconte Liliane, le quartier des « Péotards », ceux qui travaillaient à l’autre bout de Périgueux, dans le quartier du Toulon, où se situaient les ateliers de la Compagnie de chemin de fer du Paris-Orléans, devenue la Société Nationale des Chemins de Fer. Le matin, tous les hommes partaient travailler et ne revenaient que le soir. Restaient les femmes et les enfants qui allaient à l’école maternelle, installée en haut, sur le boulevard du Petit-Change, avant d’aller à celle de Saint-Georges. »

Les femmes se retrouvaient dans la rue pour bavarder et entamer leur journée de labeur. Elles se retrouvaient aussi dans les épiceries du quartier ; il y en aurait eu quatre ou peut être cinq.  Comme le souligne Liliane : « On n’avait pas d’argent, mais on manquait de rien. Nous vivions pourtant à neuf dans deux pièces…» Et de rajouter : « quand l’époque des cerises était arrivée, celui qui en avait en distribuait à ses voisins … On  ne se contentait pas de parler de solidarité. »

On imagine toujours les soldats américains au petit matin

Durant toute son existence, Liliane a travaillé dans une usine de textile de Périgueux et la retraite arrivée, elle s’est s’occupée de ses parents ; sa mère est décédée en 2011. «  C’était ainsi à l’époque et on ne voyait pas la vie autrement …» dit-elle. On l’écoute autant que ses longs silences qui ne sont jamais que des parenthèses qui traduisent une émotion contenue, une modestie franche et authentique. On entend les paroles de Jacques Brel: « l’espoir fleurissait dans les rêves qui montaient aux yeux… »

Dans sa géographie intime, celle de cette petite maison au charme presque désuet, se résume une existence sobre et millimétrée, une poésie que seuls les gens feutrés peuvent ressentir. «  Je ne me vois pas vivre ailleurs qu’ici …» dit-elle en baissant les yeux et en demandant pourquoi on la presse de questions. On ose à peine regarder l’ordonnancement intérieur, où on imagine encore quelques soldats américains surgis de la nuit des temps et qui s’affairent, au petit matin, à ranger la chambrée avant de rejoindre l’hôpital ou quelques services indispensables à la vie quotidienne du camp. C’était hier, mais c’est toujours aujourd’hui.

Quand on séchait les peaux de lapins dans les jardins

Alors, bien entendu, quand Liliane Fayol évoque cette époque où l’on séchait les peaux de lapins dans les jardins, destinés à la vente, les escargots dégustés lors de la fête de Saint-Georges, en mai, la figure de l’ancien député et maire de la commune, Lucien Dutard, « un instituteur et un homme exceptionnel …» comme elle dit, ou encore le personnage de Lamouret, revenu de la Grande guerre, autant marqué dans sa chair que dans son esprit et qui se faisait incarcérer à la prison pour l’hiver afin d’être au chaud. On voudrait retourner le sablier et entrer de plein cœur dans ses souvenirs.

Et sa langue se délie, progressivement, doucement, avec le temps : « Il y a eu, mais je l’ai juste entendu dire, entre 1930 et 1938, en haut de la rue de la Somme, au « Petit bois » il y eut des réfugiés italiens… » Fuyaient-ils le régime de Mussolini ? Diable ! Liliane n’en sait rien.

Durant l’occupation, elle n’avait pas dix ans, Liliane se rappelle seulement de la chape de plomb qui recouvrait le quartier. « On se méfiait de tout le monde ». Tout au plus, se rappelle-t-elle de la rafle occasionnée par la mort d’un collaborateur dénommé « Le nain », garde-voie. Il habitait le quartier et la famille a disparu à la Libération. Il avait été abattu par le maquis à Razac-sur-l’Isle si je me rappelle bien. Les hommes du quartier ont été amenés aux casernes puis relâchés ; je crois que l’un d’entre eux a été déporté » explique-t-elle hésitante.

Et elle reprend : « Ce sont de vieux souvenirs…  Comme les bisbilles entre les socialistes et les communistes du quartier qui n’étaient jamais bien méchantes. Un jour il y eut un épouvantail devant la porte d’un communiste et le lendemain le socialiste trouvait devant se porte un pot de chambre. Il y avait un vieux garde-chasse avec un œil de verre qui habitait dans le quartier, il était de droite, et faisait peur à tous les enfants des familles plutôt à gauche. Les parents racontaient des choses qui n’étaient que des légendes afin d’entretenir cette peur.  C’était comme cela jusqu’à la fin des années soixante, autant que je me rappelle. Quand à ceux qui allaient à la messe, à la chapelle, ils n’étaient pas bien vus par ceux qui n’y allaient pas ; mais ce n’était pas bien méchant. Il faut s’imaginer que c’était encore un gros village et que tout le monde se connaissait. »

Mais Liliane Fayol, tout aussi fragile, vous dira que tout ceci n’a aucun intérêt et elle retournera entre deux parenthèses,couper son gâteau. Mais si Liliane, vous êtes importante ! Toute votre vie est une belle pierre de l’histoire de l’humanité. Comme votre maison et ce quartier, aux finalement multiples facettes, presque en mal d’amour.

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Photos et texte : Pascal SERRE. Avec le concours de la Ville de Boulazac

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