Jacqueline Beylier : casque d’or

Jacqueline Beylier : casque d’or

Née à l’heure où s’achevaient les sombres heures de l’Occupation Jacqueline Beylier a vécu son enfance dans le quartier de la Cité bel Air, sur la commune de Boulazac. Aujourd’hui, retirée à quelques kilomètres, à Coulounieix-Chamiers, elle n’a rien perdu d’une jeunesse marquée par les Américains qui amenaient le jazz, le swing, le Picon bière et la fameuse jeep à la guinguette de Barnabé.

Un de ses arrières grand-père, Fernand Serre, fut le premier maître-nageur de la jeune guinguette que venait de reprendre la famille Foussard après la tragique noyade de son fondateur, juste après la Première Guerre Mondiale. Une guinguette construite sur la commune de Boulazac, jouxtant celle de Périgueux, sur les bords de l’Isle. Elle est née et a vécu sa jeunesse dans ce quartier né sur un ancien camp et hôpital Américains et qui accueillait les familles venues de la campagne chercher un travail, souvent à la Compagnie du Paris-Orléans devenue en 1936 la Sncf. Elle, c’est Jacqueline Beylier, une belle femme aux cheveux joyeusement blanchis et aux yeux aussi translucides que peut l’être l’améthyste ; une allure sportive et une vie encore à remplir.

Dans sa maison de Coulounieix-Chamiers « Jacky » – c’est ainsi que ses proches l’appellent – entretient les souvenirs qui ne peuvent qu’être beaux et bons. Surtout ceux concernant la guinguette qui a marqué toute sa jeunesse. Mais pas seulement.

Tout le monde se connaissait ; il y avait une vraie solidarité

Jacqueline se rappelle de l’épicerie de quartier où l’on pratiquait toujours l’ardoise qui était réglée en début de mois par les habitués. Le fils de l’épicière, Jean-Emile Lachaud, est né la même année qu’elle : « c’était un véritable lieu de rencontres où l’on bavardait autant même plus que l’on achetait. Tout le monde se connaissait. Il y avait une vraie solidarité » dit-elle aujourd’hui.

En cette fin des années quarante et au delà, la Cité Bel Air était toute bruissante d’une intense vie qu’entretenaient encore les maraîchers, les femmes des ouvriers partis travailler au « P.-O » ou dans les petites usines de Périgueux. A cette époque le chômage était inconnu mais les conditions de travail difficiles.

Entreprises ? Vous avez dit entreprises ? « Je me rappelle, poursuit Jacky,  que le Jokari, un jeu de balle relié à un bloc par un élastique qui a amusé des générations d’enfants, était fabriqué dans le quartier ;  à la « Cancha », un atelier de jouets en bois. Il y a avait aussi l’usine de javel autour de laquelle parfois flottait une odeur de chlore… je crois, aussi, qu’il y avait une fabrique de fauteuils de cinéma. »

Les rues furent goudronnées progressivement à partir des années cinquante. L’éclairage public fut aussi une véritable attraction : « On sortait dans le rue le soir pour voir l’effet produit. » Jacqueline entend encore la trompe de l’acheteur de peaux de lapin qui parcourait les rues du quartier ou encore la voix du rémouleur, venu une fois l’an pour aiguiser couteaux, faux et autres instruments contondants ou de la vie quotidienne. Chaque jour, aussi, passaient la voiture de l’épicier ou du boulanger. Un autre moment où l’on échangeait des nouvelles sur la ville et le quartier. Chaque moment de la journée avait son rituel celui d’un petit monde qui n’avait rien à envier aux personnages de Marcel Pagnol. Un monde en miniature et pourtant universel fait de petites misères et de grands bonheurs. C’est, du moins, ainsi que le relate Jacky. La couleur sépia est toujours celle des nostalgies.

Les histoires racontées en fin de repas

Jacqueline, l’adolescence venue, se rappelle qu’elle allait danser à la guinguette : « j’ai encore en tête le bruissement des peupliers, l’odeur du Crésyl dégagée dans les toilettes et les douches. Je revois la tonnelle, à la belle saison, avec, dessous, les tables et les chaises où l’on consommait quelque boisson. Parfois, on mangeait une friture de goujons juste sortis de la rivière. Et il y avait les glaces. Les meilleures glaces de toute la ville ! »

Les années cinquante voient une autre génération de soldats américains fréquenter la guinguette. Ceux-ci arrivent avec leur jeep, leur coca-cola et font rêver les jeunes Périgourdines. C’est le temps du jazz et du swing, l’installation du premier juke-box devant lequel Jacqueline et ses copines se retrouvent. « Oh, mais ils étaient très corrects. Entre le père Foussard et la « Military Police » avec son casque blanc frappé des lettres M et P en noir, ils savaient à quoi s’en tenir. »

Et puis, aussi, il y avait les fêtes de famille, souvent dans le garage. Petite, elle se rappelle avoir présenté une pièce de théâtre sous les applaudissements de ses parents et voisins : « nous n’étions pas malheureux même si nous n’avions pas tout ce qui, aujourd’hui, paraît indispensable. »

Dans cet immédiat après-guerre, elle se rappelle, les histoires racontées en fin de repas, comme ces Juifs qui s’étaient réfugiés près de la guinguette et que les habitants avertissaient quand se profilait aussi bien l’occupant que le collaborateur trop zélé.

« Parfois, poursuit Jacky, on prenait son siège et on allait voir des films de l’époque sur le grand écran spécialement installé au « Le Moulin rouge », un dancing qui ouvrait sur le boulevard du Petit-Change. »

Mais, c’est Barnabé qui, incontestablement, reste le lieu de toutes les magies : « C’est là que j’ai appris à nager. C’était l’époque d’Alain Distinguin, champion de France de brasse papillon en 1952, qui vivait à Périgueux et fréquentait la guinguette. Il montait sur le plongeoir haut de cinq mètres et se lançait dans la rivière sous nos applaudissements. »

Jacky a appris à nager avec des joncs comme bouée. L’examen de passage se résuma à une traversée aller et retour, entre Barnabé et Trélissac.

« Quand la baignade a été interdite, en 1970, ça a été un premier tournant dans la baisse de fréquentation de la guinguette… enfin je crois. Il est vrai qu’il y avait l’ouverture de la piscine à Périgueux… » conclut Jacky. Puis, reprend elle, « j’ai quitté le quartier pour m’installer ici, à Coulounieix-Chamiers, avec mon mari qui était architecte et moi-même travaillant à la « Sécu » je ne venais que rarement à la guinguette. »

L’album magique

Jacky a étalé son album photos face à elle, sur une table et s’arrête une photo : «  Ah, regardez, Fernand Serre, un braconnier comme on fait plus. Il se glissait entre les joncs qui longeaient la rivière. Tout le monde le savait. Il ne faisait de mal à personne ; au contraire. Il fabriquait, autant que je me rappelle, des barques ou bateaux avec la « palou » une rame courte qui correspondaient parfaitement à la navigation sur cette partie de l’Isle. »

L’anecdote incroyable c’est que, à Limoges, et me retrouvant avec un ancien Périgordin qui me parlait de Barnabé, celui-ci me confiait qu’il recherchait une image du braconnier qui vivait là dans les années qui suivirent la Première Guerre mondiale. Je convenais de lui expédier la photo de Jacky qui ne pouvait pas, sauf miracle, répondre à son attente. Et, regardant de près le regard de Fernand Serre, il le reconnut : « Je l’ai connu quand il était plus âgé, il était plus corpulent et différent ; mais c’est bien lui. »  Désormais, je ne peux que croire au miracle ; le miracle de Barnabé !

Jacky se rappelle que lors des évènements d’Algérie, le député maire Lucien Dutard vivant près de chez elle était protégé par des militants communistes : « A cette époque l’OAS ( Organisation de l’Armée Secrète) faisait régner un climat de terreur comme on ne l’imagine pas aujourd’hui. On craignait pour la vie de Lucien Dutard qui s’était solidarisé avec les Algériens qui venait d’avoir leur indépendance. » On ne mesure jamais assez que la grande histoire a, aussi, ses petites histoires… locales.

Une jeunesse, ivre de musique, de danse, et de fraternité

Alors, bien sûr, Jacqueline Beylier est restée une enfant de la « Cité Bel Air ». Une « cité » qui n’avait rien à voir avec la définition que l’on en donne aujourd’hui, qui n’avait rien à envier aux « beaux quartiers », d’où venait aussi une jeunesse, ivre de musique, de danse, et de fraternité en cette guinguette où populaire rimait avec extraordinaire, où solidarité rimait avec république.

Jacqueline Beylier : « Je suis heureuse que Jacques (Auzou Ndlr) ait trouvé une solution à ce lieu qui incarne ma jeunesse mais aussi une page de notre histoire commune de Boulazacois et de Périgourdin. »

Je ne sais pas pourquoi mais Jacqueline me rappelle Simone Signoret dans le film de Jacques Becker Casque d’or. Peut être, outre le visage rayonnant, cet histoire d’amour impossible marqué par le destin, amour impossible entre le bonheur passé et celui qui s’ouvre devant nous. Fort heureusement la comparaison s’arrête là. Pas de guillotine. A Barnabé le temps a abrogé la peine de mort. La seule peine qui vaille est celle des souvenirs, ceux des albums photographiques et des mémoires toujours éblouies et prêtes à faire danser la bougie de la jeunesse éternelle.

 

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Photos et texte : Pascal SERRE. Avec le concours de la Ville de Boulazac

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