Christian Chaumel : le baroudeur de la famille

Christian Chaumel : le baroudeur de la famille

La famille Jusseaume est arrivée à Boulazac, dans le quartier de la Cité Bel Air, en 1933. Venus de la campagne alentour, le grand-père devenait « Péotard » et la mère entretenait une petite épicerie. Né en 1949, Christian, leur petit-fils a fait le tour du monde avant de retourner dans sa rue du Texas natale.

Comme la plupart des enfants de l’après-guerre, Christian Chaumel aurait pu perpétuer la tradition familiale, à savoir rester dans cette géographie familiale qui caractérise la belle et profonde province du Périgord. Ce ne fut pas le cas. Tout enfant, déjà, il arpentait les rues dont les noms avaient autant de consonances magiques et évocatrices pour un futur aventurier : Louisiane, Missouri, Texas, Chicago… Mais à l’Amérique du nord il préféra celle du sud avec ses rythmes endiablés et ses forêts immenses, ses routes à tracer et ses villes à bâtir. Comme le grand-père maternel, André, le père était « Péotard » tout en peignant quelques toiles et tout en jouant aussi de la musique. L’épicerie « Jusseaume » n’était jamais bien éloigné ; tout au plus deux rues.
Avant de rejoindre le vaste continent, Christian Chaumel avait suivi le chemin qui le menait de l’école de la Cité Bel Air à celle des Travaux publics d’ Égletons, en Corrèze. A vingt ans il s’engageait dans le Service militaire adapté et avec son baluchon partait en Guyane ; un an plus tard il retournait à la vie civile et entamait une belle carrière dans des groupes internationaux de Travaux publics ; d’abord en Amérique du Sud puis au Moyen Orient. En 1986, il cédait devant l’amour de Sylvette, secrétaire d’une entreprise de transports de Trélissac. Cette fois il ne partira pas au Sri Lanka. Il décidait de poser son baluchon dans la maison familiale de la rue du Texas dans le quartier de la Cité Bel Air. Il rejoignait une entreprise de transports, cette fois située à Boulazac. Chez cet homme il n’y a ni nostalgie, ni mélancolie. Il est toujours entre deux voyages ; mais, cette fois pour le plaisir.

Le grand voyage à Escornebœuf

C’était l’âge d’or de Tintin et Milou, l’arrivée d’Astérix et Obélix, les premiers pas d’une certaine Brigitte Bardot, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie, le développement effréné des banlieues avec leurs barres d’immeubles, et la télévision allait passer à la couleur et offrir deux, puis trois chaines. La modernité est triomphante. En ce début des années cinquante, même si les maisons commencent a être plus nombreuses que ne le sont les prés et jardins, le quartier de la Cité Bel Air a conservé sa fraicheur naturelle et la guinguette de Barnabé est au sommet de sa gloire. Christian Chaumel se rappelle qu’à cette époque le grand voyage consistait, avec le curé, à se rendre à pied sur la colline d’Escornebœuf qui domine Périgueux, à une heure de marche.

Un tohu-bohu enfiévré et une pièce enfumée

« Le quartier, raconte Christian Chaumel, dans les années cinquante et soixante était très vivant. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil. C’est autre chose. Les petites maisons laissées par les américains étaient progressivement réhabilitées tout en conservant la dimension symétrique et typique des constructions : des modules de trois mètres sur quatre, en enfilade, avec leur structure en mâchefer. Bien des maisons du quartier avaient gardé les charpentes originelles car elles sont d’une solidité et d’une qualité rares. Les poteaux en mâchefer de l’époque ont subsisté. »
Pendant que le père rejoignait les ateliers du Paris-Orléans, la mère de Christian entretenait une des nombreuses épiceries du quartier ; « chaque rue avait son épicerie » rappelle-t-il. Des épiceries qui étaient aussi un vaste bric-à-brac où l’on trouvait des choses aussi insolites que le fil à pêche, l’eau de Cologne, le pétrole pour les lampes, tournevis, ampoules, prises… Avec les petites charcuteries, les fromages, les légumes de saison. J’ai retrouvé ce type d’épiceries tenues par des chinois autant en Amérique du sud qu’en Orient. Il suffisait de demander pour avoir… » indique Christian.
Entre l’épicerie et la cuisine, il y avait aussi un bout de comptoir en zinc où les hommes venaient boire un verre de vin nécessairement tiré à la barrique. « Quand c’était le temps des élections, se remémore Christian, il y avait un tohu-bohu enfiévré et toute la pièce était enfumée. On ne pouvait même plus entrer. »
Mais avec l’arrivée des grandes enseignes, plus particulièrement Monoprix en centre-ville, l’affaire familiale ne pouvait que péricliter. Ainsi, l’épicerie Jusseaume ferma en 1969.

La poésie des petits métiers

La semaine et chacune de ses journées, étaient rythmées par les « tournées » : celle du facteur, le matin et le soir, du laitier au petit matin ; le lundi c’était la boucher, le vendredi c’était le poissonnier, le mercredi et le samedi la tournée des maraîchers ; c’était aussi le glacier venu des « Mounards » à Trélissac, de l’autre côté de l’Isle, avec sa camionnette bleue siglée « Glacière des Mounards » ; il sillonnait les rues et vendait des « pains » de glace protégés dans un sac en toile de jute, car il n’y avait pas de réfrigérateur ; il y avait aussi le « Papy Brossard » avec son triporteur qui vendait des gaufres et annonçait son arrivée par de grands coups de trompe ; à l’automne c’était le passage du charbonnier et des chiffonniers au printemps ; le « bossu » avec son atelier de rémouleur s’installait pour une heure ou deux et redonnait vie aux couteaux fatigués, un personnage qui entretenait des fantasmes dans l’esprit des enfants qui s’enfuyaient devant lui. C’était encore l’époque où passait le livreur avec sa carriole tirée par un cheval et même celle où le cardeur s’installait dans la rue pour fabriquer ou restaurer les matelas.
On peut parler d’une poésie saluant les choses et les gens ordinaires, pour les transporter au delà des portes de l’insignifiant. Une sacralisation du temps et de l’espace qui s’évanouit doucement, prudemment, sans résonner dans les livres d’histoire.

Le temps des « allocs »

L’après-guerre. C’est le cœur du « Baby-boom ». Le temps des « allocs ». Et, à la Cité Bel Air, il y avait beaucoup de gosses. Christian Chaumel se rappelle du passage, chaque début de mois, de l’agent de la Caisse d’allocations familiales qui déposait l’argent dans les familles ; c’était le signal pour que ces dernières aillent régler la note mensuelle des achats chez l’épicier. Christian Chaumel : « Imaginez, aujourd’hui, une personne à vélo avec une sacoche contenant plusieurs milliers d’euros… »

Dans ma jeunesse le seul voyage que l’on faisait était celui du service militaire

Dans son salon qui correspond à quatre pièces d’un baraquement, notre hôte n’oublie pas la promiscuité et l’hygiène de son enfance : « nous n’avons jamais manqué de quelque chose mais nous n’étions pas encore entrés dans la société de consommation. Les commodités étaient dans le jardin, à l’extérieur ; pour se laver, c’était à l’eau froide et dans une grande bassine. Nous trouvions cela normal. Oui, dans la pièce où nous sommes, il a pu y avoir jusqu’à trois générations, sept ou huit personnes… » Et Christian de poursuivre : « Dans ma jeunesse le seul voyage que l’on faisait était celui du service militaire ; certains, avaient vu l’Allemagne comme prisonniers ; tous revenaient aussitôt au pays. Alors, moi, quand j’ai annoncé que je partais, je suis passé pour un original. Mais, c’est avec un regard tout autre que j’apprécie ce quartier ; je peux comparer. Jusqu’en 1958, les rues étaient faites de terre et de cailloux comme celles que l’on trouve encore dans certains pays en voie de développement. Dans quelques années, et je leur souhaite, leurs rues seront comme ici, chez nous. Il n’y a pas que du mauvais dans le modernisme.»
Dans ses rêveries de baroudeur, Christian Chaumel connaît-il cette phrase de l’écrivain André Suarès : « Le voyageur est ce qui importe le plus dans le voyage. » Ce qui fait que chez cet homme discret, il y a un mélange de Marco Polo et de Jacques Cartier. D’ailleurs, les deux explorateurs et voyageurs ont, eux aussi, retrouvé le chemin de leur ville natale. Le premier à Venise et le second à Saint-Malo. Pour Christian Chaumel c’est le quartier de la Cité Bel Air.

 

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Photos et texte : Pascal SERRE. Avec le concours de la Ville de Boulazac

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