Fernande Monier : La valse à mille temps
Fernande Monier : La valse à mille temps
Née en 1918, Fernande Monier sera la centenaire du quartier de la Cité Bel Air pour les commémorations prévues à l’occasion d’un autre centenaire, celui de l’arrivée des américains et de la création de leur camp.
Il y a une année, Fernande applaudissait à tour de bras Franck Michael au Palio de Boulazac. Une affiche du chanteur de charme trône dans le séjour de la maison de Fernande, une ancienne baraque construite par les américains et qui a le même âge qu’elle : 98 ans.
Avec sa chevelure soignée et argentée, ses yeux, véritables agates mousseuses, son sourire à vous réconcilier avec le monde, Fernande Monier possède l’exquise courtoisie des adeptes de Bouddha et d’Épicure. Tout chez elle nous fait croire que la vie est un éternel printemps.
Elle habite dans le quartier depuis dix ans ; elle voulait, comme elle l’évoque avec une élégante courtoisie, se rapprocher de son second époux inhumé au cimetière de Saint-Georges, en 1998.
Avec sa chevelure soignée et argentée, ses yeux, véritables agates mousseuses, son sourire à vous réconcilier avec le monde, Fernande Monier possède l’exquise courtoisie des adeptes de Bouddha et d’Épicure. Tout chez elle nous fait croire que la vie est un éternel printemps.
Elle habite dans le quartier depuis dix ans ; elle voulait, comme elle l’évoque avec une élégante courtoisie, se rapprocher de son second époux inhumé au cimetière de Saint-Georges, en 1998.
J’ai toujours aimé danser
Fernande Bertrand, devenue par les liens du mariage Monier, est née la dernière année de la Grande Guerre, sous le signe du poisson, connu pour son empathie et sa sagesse. Malheureusement, quelques mois après sa naissance, sa maman, Adrienne, meurt de la Grippe espagnole qui causa la mort de 50 millions de personnes. On le sait aujourd’hui, les femmes accouchant à cette époque furent plus durement frappées par cette pandémie. Fernande est élevée par sa grand-mère, entre Périgueux et Champcevinel ; son père, revenu de la guerre, devint cantonnier et ne po
uvait pas s’occuper d’elle.
Les années vingt, celles que l’on qualifie de « fol
Les années vingt, celles que l’on qualifie de « fol
les » pour marquer le mouvement d’euphorie et de la libération qui envahit la France, voient arriver de nouveaux rythmes, le smoking et le tango. Des rythmes et des danses que Fernande, encore Bertrand, a découvert plus tard dans les salles de Périgueux, celles du Tourbillon, de l’Olympia ou Secrestat. Fernande qui se rappelle aussi av
oir dansé au Moulin rouge, tout près de son actuelle habitation, raconte : « c’est avec ma grand-mère qui m’amenait à la lumière du falot à travers bois jusqu’aux bals improvisés çà et là que j’ai commencé à danser. J’ai toujours aimé danser. » Elle avait une prédilection pour les valses, nécessairement endiablées.
Les temps des usines
Affranchie de frugales études, la jeune fille est « placée » dans une entreprise locale, les établissements Laforest. Cette dernière était spécialisée dans la conserverie de produits alimentaires.
Nous étions en 1934. « J’épluchais les légumes de saison, je plumais les faisans, je dénervais les foies d’oie ou de canard. Un temps, j’ai été affectée à la préparation des anchois et je devais respecter les objectifs… Il fallait travailler pour qu’il y ait un peu d’argent à la maison. Entre ouvrières l’ambiance était bonne car nous étions jeunes. Je crois que nous étions plus d’une centaine et l’entreprise était florissante. »
Cette année-là, elle va au cinéma Pathé, à l’époque sur les boulevards de Périgueux (aujourd’hui c’est la Librairie Marbot), pour la première fois. Le film projeté est « Les Ailes brisées » de André Berthomieu. Ce film l’a marquée et Fernande ne sait pas trop pourquoi si ce n’est cette histoire qui raconte la mort accidentelle d’un homme et dont la femme se bat pour s’en sortir financièrement et surmonter sa douleur.
L’arrivée du Front populaire, en 1936, déclenche un vaste mouvement de grèves qui entraine Fernande. Ecoutons-la : « Nous avons fait grève. Tout était bloqué et nous occupions l’usine. Oh gentiment, car nous n’avions pas l’esprit révolutionnaire ! Nous dormions sur place dans des sacs en jute dans lesquels avaient été entreposées les viandes. On a défilé en ville et on a beaucoup parlé, chanté, dansé…. et on a gagné ! » On imagine mal que certaines réclamations portaient sur la dotation quotidienne de vin et de pain attribués aux salariés par la direction.
La vie bien ordonnée passait par le mariage et c’est ainsi qu’en 1938 elle épouse un peintre en bâtiment, Jean Ardouin ; trois enfants naîtrons.
En 1938, Fernande devient soudeuse chez Carnaud, toujours à Périgueux. Une entreprise qui fabriquait des boites de conserves et employa jusqu’à 3 000 salariés. Elle se syndique à la CGT, la principale et presque unique centrale syndicale à l’époque. C’est que Fernande Bertrand, devenue par liens du mariage Ardouin, n’a pas sa langue dans sa poche et entend se faire respecter. Encore aujourd’hui, elle revendique son engagement. Même si elle reconnaît que ça n’a plus rien à voir avec la vie des ouvriers d’antan.
Nous étions en 1934. « J’épluchais les légumes de saison, je plumais les faisans, je dénervais les foies d’oie ou de canard. Un temps, j’ai été affectée à la préparation des anchois et je devais respecter les objectifs… Il fallait travailler pour qu’il y ait un peu d’argent à la maison. Entre ouvrières l’ambiance était bonne car nous étions jeunes. Je crois que nous étions plus d’une centaine et l’entreprise était florissante. »
Cette année-là, elle va au cinéma Pathé, à l’époque sur les boulevards de Périgueux (aujourd’hui c’est la Librairie Marbot), pour la première fois. Le film projeté est « Les Ailes brisées » de André Berthomieu. Ce film l’a marquée et Fernande ne sait pas trop pourquoi si ce n’est cette histoire qui raconte la mort accidentelle d’un homme et dont la femme se bat pour s’en sortir financièrement et surmonter sa douleur.
L’arrivée du Front populaire, en 1936, déclenche un vaste mouvement de grèves qui entraine Fernande. Ecoutons-la : « Nous avons fait grève. Tout était bloqué et nous occupions l’usine. Oh gentiment, car nous n’avions pas l’esprit révolutionnaire ! Nous dormions sur place dans des sacs en jute dans lesquels avaient été entreposées les viandes. On a défilé en ville et on a beaucoup parlé, chanté, dansé…. et on a gagné ! » On imagine mal que certaines réclamations portaient sur la dotation quotidienne de vin et de pain attribués aux salariés par la direction.
La vie bien ordonnée passait par le mariage et c’est ainsi qu’en 1938 elle épouse un peintre en bâtiment, Jean Ardouin ; trois enfants naîtrons.
En 1938, Fernande devient soudeuse chez Carnaud, toujours à Périgueux. Une entreprise qui fabriquait des boites de conserves et employa jusqu’à 3 000 salariés. Elle se syndique à la CGT, la principale et presque unique centrale syndicale à l’époque. C’est que Fernande Bertrand, devenue par liens du mariage Ardouin, n’a pas sa langue dans sa poche et entend se faire respecter. Encore aujourd’hui, elle revendique son engagement. Même si elle reconnaît que ça n’a plus rien à voir avec la vie des ouvriers d’antan.
Un accouchement à la bougie
Durant l’occupation, elle continue son bonhomme de chemin, observant patiemment les évènements causés par la défaite puis l’occupation de Périgueux à l’hiver 1942. Sa préoccupation était d’avoir à manger. Elle se remémore ses escapades à bicyclette, dans la campagne environnante, dans les fermes, pour ramener les précieuses nourritures : « un jour, ramenant un poulet sur le porte-bagage, la tête de celui-ci s’est prise dans les rayons de la roue et vous imaginez le résultat… »
Et les allemands ? Elle se rappelle, alors qu’elle était enceinte, être tombée et avoir été relevée par un soldat allemand qui la ramena chez elle. « J’avais honte, même si il a été très gentil. C’était quand même un ennemi » raconte-t-elle sans s’attarder.
Quand Périgueux est libéré, elle est enceinte et reste chez elle : « J’ai accouché chez moi, éclairée par des bougies car l’électricité était coupée, comme cela se faisait à l’époque. »
Et les allemands ? Elle se rappelle, alors qu’elle était enceinte, être tombée et avoir été relevée par un soldat allemand qui la ramena chez elle. « J’avais honte, même si il a été très gentil. C’était quand même un ennemi » raconte-t-elle sans s’attarder.
Quand Périgueux est libéré, elle est enceinte et reste chez elle : « J’ai accouché chez moi, éclairée par des bougies car l’électricité était coupée, comme cela se faisait à l’époque. »
Le temps de la débrouillardise
En 1950, son solide caractère et, peut-être, l’amour en déshérence, après son divorce, elle se remarie avec Marcel, un ajusteur de la SNCF. Elle devient une « Monier » et le suivra à Paris, grâce à l’aide de Georges Bonnet, l’ancien ministre, toujours très en cour dans les grandes administrations.
C’est une époque de débrouillardise qui l’amènera à exercer comme on dit « trente-six métiers et trente-six misères ». Les Trente Glorieuses se sont construites sur cet esprit de labeur qui voyait les plus humbles attachés aux besognes les plus diverses pour entretenir un foyer qui cherchait à acquérir le réfrigérateur ou la machine à laver considérés comme le signe d’un progrès qui restait aussi un luxe. Nous sommes au plein baby boom et quatre nouveaux enfants viendront animer cette belle famille recomposée. Mais, aussi, une vie rythmée par quelques malheurs, comme la disparition d’un enfant âgé de cinq ans.
C’est en 1978 que Fernande et Marcel Monier, parvenus à la retraite, se font bâtir à Saint-Léon-sur-l’Isle, un fief du parti communiste dont elle est membre.
Vingt années passées, son époux disparaît et elle ressent le besoin de se rapprocher de Périgueux. Elle s’installera à la Cité Bel Air, dans son actuelle maison héritée des américains, en 2006. « Pour se rapprocher de Marcel, mon second mari, inhumé au cimetière Saint-Georges… », dit-elle malicieusement.
C’est une époque de débrouillardise qui l’amènera à exercer comme on dit « trente-six métiers et trente-six misères ». Les Trente Glorieuses se sont construites sur cet esprit de labeur qui voyait les plus humbles attachés aux besognes les plus diverses pour entretenir un foyer qui cherchait à acquérir le réfrigérateur ou la machine à laver considérés comme le signe d’un progrès qui restait aussi un luxe. Nous sommes au plein baby boom et quatre nouveaux enfants viendront animer cette belle famille recomposée. Mais, aussi, une vie rythmée par quelques malheurs, comme la disparition d’un enfant âgé de cinq ans.
C’est en 1978 que Fernande et Marcel Monier, parvenus à la retraite, se font bâtir à Saint-Léon-sur-l’Isle, un fief du parti communiste dont elle est membre.
Vingt années passées, son époux disparaît et elle ressent le besoin de se rapprocher de Périgueux. Elle s’installera à la Cité Bel Air, dans son actuelle maison héritée des américains, en 2006. « Pour se rapprocher de Marcel, mon second mari, inhumé au cimetière Saint-Georges… », dit-elle malicieusement.
Il me faut tenir jusque là
Dans sa petite maison qui fait face à la maison des associations du quartier de la Cité Bel Air, Fernande Monier, pourrait reprendre les paroles que chantait Tino Rossi : « Danse comme un enfant joyeux, la première étoile est éclose. »
Entourée de ses 30 enfants et petits-enfants, fan du « Rossignol du siècle », elle pourrait lui emprunter cet extrait de la chanson « Mon Pays » : « au pied d’un voilier qui divague, les collines deviennent bleues, dans le ciel un nuage rose danse comme un enfant joyeux. » Evoquer simplement la danse, et les yeux de Fernande se plissent, clignotent, ses lèvres se relèvent, s’animent. En découvrant les photos jaunies qui sont disposées dans son séjour on l’imagine valsant aux quatre coins du monde, de son monde.
Chaque jeudi, elle se rend à la réunion du club Sourire qui réunit les anciens de la commune et même de plus loin. Elle y discute et joue aux cartes. C’est la doyenne et elle s’amuse de cette drôle d’idée de fêter son centenaire en même temps que celui du quartier dont elle ne connaît finalement que peu de choses. Et, rieuse, elle ajoute : « Il me faut tenir au moins jusque là… »
Jacques Brel chantait ainsi : « Au premier temps de la valse, toute seule tu souris déjà ; au premier temps de la valse je suis seul mais je t’aperçois. » Voici que la magie surgit, celle qui imagine l’annonce de l’ouverture de la guinguette du Moulin rouge, sur le boulevard tout proche, que Fernande se prépare pour une nouvelle valse.
Entourée de ses 30 enfants et petits-enfants, fan du « Rossignol du siècle », elle pourrait lui emprunter cet extrait de la chanson « Mon Pays » : « au pied d’un voilier qui divague, les collines deviennent bleues, dans le ciel un nuage rose danse comme un enfant joyeux. » Evoquer simplement la danse, et les yeux de Fernande se plissent, clignotent, ses lèvres se relèvent, s’animent. En découvrant les photos jaunies qui sont disposées dans son séjour on l’imagine valsant aux quatre coins du monde, de son monde.
Chaque jeudi, elle se rend à la réunion du club Sourire qui réunit les anciens de la commune et même de plus loin. Elle y discute et joue aux cartes. C’est la doyenne et elle s’amuse de cette drôle d’idée de fêter son centenaire en même temps que celui du quartier dont elle ne connaît finalement que peu de choses. Et, rieuse, elle ajoute : « Il me faut tenir au moins jusque là… »
Jacques Brel chantait ainsi : « Au premier temps de la valse, toute seule tu souris déjà ; au premier temps de la valse je suis seul mais je t’aperçois. » Voici que la magie surgit, celle qui imagine l’annonce de l’ouverture de la guinguette du Moulin rouge, sur le boulevard tout proche, que Fernande se prépare pour une nouvelle valse.
Texte et photos : Pascal SERRE
En partenariat avec la Ville de Boulazac-Isle-Manoire